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Francois Duranton
Co-fondateur
Le B2B : nouvel Eldorado pour les retailers ?
"Des taux de croissance incroyables en B2B". Voilà ce que j'entends régulièrement de la part des dirigeants de grandes enseignes de retail, qui après la vague du e-commerce puis celle des marketplaces, voient en le B2B un nouveau relais de croissance.
Il n'aura échappé à personne que la croissance du e-commerce B2C est en berne depuis quelques trimestres. Début 2024, la situation s'est un peu redressée, mais les sites leaders en France ne progressent "que" de 2,1% (FEVAD) contre plus du double (4,4%) pour les ventes B2B.
La part du e-commerce dans le retail total fait 10% en 2023 contre 9% en 2019 (Fevad, Insee) et 6% en 2013 (via statista).
En parallèle, des géants du B2C se sont lancés depuis quelques années dans le B2B, et affichent des performances alléchantes.
Amazon Business, lancé en 2016, est passé de 1bn$ de GMV en 2016 à 35Bn$ en 2022 selon Marketplace Pulse.
En 2022, Manomano annonçait que Manomano Pro (lancé en 2019) était déjà utilisé par 1 artisan BTP sur 4 (manomano), et visait un marché de 400Bn€ en Europe. En février 2024, une campagne TV démontrait la volonté de la marketplace d'accélérer sur le B2B, qui représentait environ 30% du CA France.
D'après nos sources, chez Ikea France la part du B2B a progressé de 50% en 3 ans.
En parallèle, Maisons du Monde a lancé une activité B2B en 2023, c'est aussi un sujet majeur d'accélération pour de nombreuses enseignes (bricolage, sport, mode…).
Comment les retailers s'y prennent-ils ?
La plupart du temps, les enseignes de distribution grand public n'ont aucune culture B2B. Leur cible prioritaire est donc la TPE, la PME de moins de 10 salariés : Elle connaît déjà l'enseigne Elle y fait déjà des achats pour son entreprise Elle ne demande pas de relation contractuelle complexe
La stratégie consiste donc à identifier cette cible, et la servir un peu mieux qu'un client B2C standard, afin de la fidéliser : Carte fidélité "pro" (voir l'exemple de Leroy Merlin Pro ou Ikea pour les pros) : au menu, des avantages, quelques services additionnels, des remises occasionnelles Une prise en compte de l'achat hors taxes (souvent en réplicant le site internet B2C pour en avoir une version HT) Un peu plus rarement, le paiement à 30j (parfois avec des opérateurs de BNPL comme Hokodo, ou Alma) La possibilité de prendre des commandes par téléphone et par e-mail
Quel est le réel business additionnel ?
Cette stratégie permet de capter assez rapidement le vivier de clients B2B qui étaient déjà présents mais en tant qu'individus B2C, sans engendrer de coûts trop importants : pas besoin de casser la gestion tarifaire, la gestion des commandes, la supply et la livraison, de réorganiser les magasins, etc.
C'est pour cela que la B2B apparaît de premier abord comme une aubaine aux retailers : Mon B2C plafonne J'investis un minimum sur le B2B auprès des petits pros Mon business B2B décolle rapidement
Toutefois, très peu de retailers font l'exercice d'évaluer le plus précisément possible la part de "nouveaux clients B2B" qui n'étaient pas déjà clients à travers le B2C, et par voie de conséquence, quel est le REEL chiffre d'affaires additionnel.
Un peu comme les entreprises de vente par correspondance qui glorifiaient la croissance du e-commerce sans analyser finement l'effet massif de transfert de la commande catalogue vers le digital, et donc la caractère beaucoup plus nuancé de la performance globale.
Il est probable que la croissance d'Amazon Business masque une moindre croissance d'Amazon retail, que celle de manomano pro explique pour partie le ralentissement de manomano B2C, etc. Cela ne veut pas dire que cette stratégie soit mauvaise, elle n'est juste pas suffisante pour engendrer un incrément business significatif.
Purchasing is not shopping
Jeff Bezos avait indiqué lors du lancement d'Amazon business que la cible, c'était "uniquement" les achats de classe C, non récurrents et non stratégiques, soit environ 7% des volumes d'achats professionnels dans le monde. Amazon est parfaitement outillé pour aller chercher la part de ces achats qui se fait en notes de frais. En revanche, pour les achats encadrés par des contrats complexes, avec des négociations tarifaires, des contraintes de livraisons groupées, de workflows d'approbation de commandes etc… C'est plus difficile. Amazon a dû monter des équipes de commerciaux, et même chez eux beaucoup de travail se fait à la main quand il s'agit de répondre à des appels d'offres, ou de faire des devis complexes.
C'est la différence entre le monde du shopping (seller side), qui concerne les tout petits clients pro, et le monde du purchasing (buyer side), pour lequel il est difficile de se développer sans une culture d'entreprise complètement alignée.
Manutan fait partie des acteurs qui ont assez tôt théorisé la différence entre purchasing et shopping, notamment avec la prise de parole du DG Pierre-Olivier Brial en 2019.
Dans le monde du purchasing, la relation entre le commercial et l'acheteur sont au centre, le contrat fait loi. C'est paradoxalement quelque chose que les retailers connaissent très bien, dans leurs centrales d'achats. Mais les équipes chargées de développer le business B2B sont rarement bien connectées aux équipes achats, et ont plutôt une culture commerciale retail.
Alors docteur ? Les points clés à retenir Il n'y a pas un B2B mais au moins deux: celui du shopping pour les TPE (les pros) ou les notes de frais d'une part, et celui du purchasing chez les entreprises plus grandes d'autre part Les retailers peuvent attaquer le marché "shopping" assez facilement, mais il est recommandé d'analyser le réel business additionnel, pour ne pas s'enthousiasmer trop vite Pour vraiment développer le B2B, il faut aller chercher du purchasing : des devis, des appels d'offres, des contrats. Cela nécessite une équipe de commerciaux, un outillage spécifique pour leur simplifier la vie, des interfaces spécifiques pour travailler avec les systèmes des entreprises clientes, souvent une supply chain adaptée pour les livraisons groupées, etc. C'est un métier, et c'est loin d'être une "aubaine" simple à capturer pour les retailers.
Et vous ? Qu'en pensez-vous ? Peut-on faire un business B2B puissant et profitable quand on est retailer, sans nuire au business B2C ni embarquer la complexité inhérente au purchasing ?
N'hésitez pas à nous solliciter pour un échange.
Francois Duranton
Co-fondateur